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Aux notes enchantées
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Bonjour à toutes et à tous ! Je m'appelle Steeve, 40 ans et passionné de musique ! Je vous souhaite la bienvenue sur mon blog où je vous fais part de mes coups de cœur musicaux du moment ! J'essaye d'évoquer différents styles, mais la thématique principale est la musique folk/nordique/viking. Je vous souhaite une bonne visite
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25 juin 2025

GRIEF de tAngerinecAt : un album qui m’a traversé

 

Le 9 mai dernier, tAngerinecAt publiait son nouvel album GRIEF, trois ans après l’excellent GLASS. Et je dois bien vous avouer que chroniquer cet album me donne quelque peu du fil à retordre.
Non pas parce que j’aurais moins accroché à celui-ci que le précédent (spoiler alert : ce n’est pas le cas), mais parce que GRIEF est diamétralement à l’opposé de GLASS — plus complexe, plus intime, plus radical. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, pour celles et ceux qui découvrent ce duo musical fascinant, laissez-moi vous présenter tAngerinecAt :

Fondé en 2008 sous le nom de Dark Patrick, tAngerinecAt prend sa forme actuelle en 2014. Le duo se compose de Zhenia Purpurovsky, multi-instrumentiste, chanteur, producteur, chef d’orchestre, poète, auteur-compositeur-interprète et acteur de formation classique, en partenariat avec Paul Chilton, concepteur sonore visionnaire et multi-instrumentiste. Originaire d’Ukraine, désormais installé au nord du Pays de Galles, tAngerinecAt incarne une riche tapisserie d’influences musicales qui entrelacent l’Est et l’Ouest. Zhenia y canalise ses profondes expériences de guerre, d’exil, de marginalité et de résilience dans un projet profondément personnel et politique.

Purpurovsky, artiste non-binaire d’origine ukrainienne et d’héritage ethnique diversifié, tisse un univers d’images puissantes où la beauté naturelle du Pays de Galles devient à la fois sanctuaire, mémoire et identité — en écho à une histoire marquée par la pauvreté extrême, l’itinérance, le handicap, les traumatismes, l’isolement, l’activisme, la neurodivergence et la diversité sexuelle.

L'album démarre avec "Grief" avec sa sublime intro a capella et l'envoûtant passage vocal de Paul dont je savoure toujours autant chaque écoute. Je ne reviens pas davantage dessus, vous pouvez retrouver ma chronique ici tout comme le second titre "March of Mourn" qui est un véritable appel à la résistance collective contre la guerre - un rêve puissant qu'il est urgent de transformer en mouvement, vous pouvez retrouver ma chronique ici. La troisième piste, "Freedom", évoque la liberté émotionnelle, culturelle, existentielle. Le morceau défend l’idée qu’il est bien plus important d’aimer le monde tout entier que de se replier sur un nationalisme étriqué. Musicalement, le titre est lent, lourd, avec des sonorités industrielles et une tension continue.
S’ouvrant comme un battement de cœur devenu mantra, "The Irish Sea " marque une bascule sensorielle dans l’album. Le texte est magnifique, métaphorique qui décrit une communion intime avec la nature symbolisant la délivrance et la liberté, le tout sur fond de roulement de tambour qui rappellent le remous des vagues qui s'écrasent contre le littoral. Musicalement, le titre m'évoque l'excellent titre de Faith and The Muse "Cernunnos" : la même puissance percussive, la même diction déterminée, presque incantatoire.


S'ensuit "Fire", qui est avec "Subaltern" un des titres les plus bruts de l'album mais des plus touchants et poignants de par son texte fort. La voix de Zhenia est pleine de rage mais canalisée qui semble être née dans la souffrance la plus intime "I'm sick, I'm unfixable forever" : Zhenia, qui vit avec des maladies chroniques, y répond à ces éternels “ça va passer” d’une manière directe, bouleversante. Une certaine vulnérabilité se dégage de ce passage à la limite du désespoir. Puis le titre glisse vers une revendication de la marginalité “I’m ugly. It’s a part of my demeanour. It’s the root of my charisma.” La "laideur" qui est source de rejet est ici parfaitement assumée avec fierté et sublimée ! Zhenia rejette les normes esthétiques dominantes et célèbre une beauté dissidente, où l’“ugly” devient charisme, magnétisme, incarnation. Un manifeste queer et frontal, porté non pas par la colère, mais par une affirmation tranquille et inattaquable. Et puis, vers la fin de Fire, tout bascule dans une incantation finale : “I’m old. And my roots are in the ocean. Not a country or a nation.”
Zhenia y affirme un enracinement fluide, étranger aux frontières. Être, simplement — sans État, sans drapeau. Puis vient la rage : une rage qui n’a pas vieilli, une colère ancrée dans la mémoire. “I’m on fire in my depression” : ce passage dit tout. La souffrance n’étouffe pas la lutte, elle la nourrit. C’est une rage lucide, vécue, organique. Fire,  est un chant de feu lent, sombre et incandescent. Un chant de résistance dans le noir.

Mais le feu ne s’éteint pas : il change de forme avec "Subaltern", sixième piste de l’album. Le rythme se durcit, les sons claquent, et les mots deviennent des armes. C’est sans doute le morceau le plus frontal, le plus revendicatif de "GRIEF". La voix de Zhenia prononce chaque phrase comme un uppercut verbal, lancé à celles et ceux qui refusent la différence.

“Who are you to tell me who I am?
Who do you think you are to define me?”

Ces questions ne demandent pas de réponse. Elles accusent, dénoncent, renversent. Puis vient ce couplet coup de grâce :

“Where is my relative? Where is my friend?
Why does my neighbour turn their head?
To this country I came by luck.
Fair-play you say? What the fuck!”

On est ici dans une langue brute, sans fard, mais profondément politique. C’est une colère lucide, une réponse à l’effacement, à l’exil, à l’hypocrisie. Zhenia ne demande pas la place qu’on leur refuse : il la prend. 
Après cette rage frontale et d'intensité, nous poursuivons notre voyage musical avec la magnifique chanson "Gwyn ap Nudd", qui est le second titre chanté intégralement en ukrainien. Avant de débuter la description de ce morceau, il est impératif que je donne quelques explications à propos de la signification de Gwyn ap Nudd,  est dans la mythologie celtique galloise, un des souverains ou des messagers de l’Annwvyn, l’Autre Monde des Celtes. Il est souvent décrit comme protecteur des âmes perdues accompagné d'une meute de chien fantastique et il participe à la chasse mythique d’Arthur contre le sanglier Twrch Trwyth.
 

Zhenia et Paul

Zhenia ne convoque pas Gwyn ap Nudd au hasard : avec son bagage en folkloristique, il se réapproprie cette figure du psychopompe gallois comme médiateur entre le conscient et l’inconscient, entre le monde visible et les forces enfouies. Le chant devient alors rituel de transformation personnelle. Purpurovsky s’identifie à Gwyn autant qu’il endosse le rôle de Cyhyraeth, équivalent galloise de la Banshee, pour mieux canaliser l’anxiété et le chaos du monde dans un dialogue avec la mer, la mort, et le mythe.

Comme il l’explique, GRIEF est traversé par une atmosphère qui rappelle les liturgies orthodoxes de son enfance. Bien qu’athée aujourd’hui, Purpurovsky honore ses souvenirs, et les retranscrit dans une cérémonie radicale de deuil collectif, profondément ancrée dans l'antifascisme, l'anti-guerre et l'écologie. Ce n’est pas un retour au sacré, mais une réinvention du sacré par l’art, la mémoire, et la résistance. Musicalement, une fois de plus, c’est sublime, et Zhenia et Paul font des merveilles en signant une ambiance envoûtante et lente, portée par le tintement régulier d’une cloche et des beats lourds et vibrants. Le tout nous entraîne dans un voyage intérieur, profond et sensoriel, dans une veine proche de certains morceaux de Lustmord, notamment Babel.

L’album s’achève avec le sublime "Cyhyraeth" — équivalent gallois de la Banshee — un morceau profondément chargé émotionnellement, qui évoque pour moi un chant funèbre moderne. La voix de Zhenia, une fois encore en ukrainien, est douce, presque spectrale, portée par une instrumentation minimaliste et le tintement régulier d’une cloche, comme un battement lointain.

Plus de martèlement, plus de revendication : il ne reste qu’une forme de résignation lucide, face à notre incapacité collective à embrasser la paix, à accepter l’autre sans jugement, à vivre ensemble autrement. On flotte, comme suspendu dans un autre monde, se dissolvant lentement dans un écho final, un souffle de vent.

Cette ambiance n’est pas sans évoquer certains morceaux de Twin Peaks, que j’adore — ce même sentiment de mystère calme, de beauté inquiétante. "Cyhyraeth" ne délivre pas. Il ne résout rien. Il fait place au vide, au deuil, à ce qui reste quand tout s’est tu.

Pour conclure, GRIEF est un album magistral signé par tAngerinecAt. Ce n’est pas un disque que l’on survole ou que l'on écoute d’une oreille distraite : c’est un album que l’on vit, que l’on ressent.
tAngerinecAt y explore la douleur, le deuil et la transformation avec une sincérité désarmante et une puissance sonore bouleversante. C’est un disque qui émeut, qui fait réfléchir, et qui peut déranger.
GRIEF est comme un espace sacré, à la fois personnel et collectif, où la musique devient langage, mémoire et guérison. 

Je tenais à remercier tAngerinecAt de m'avoir laissé le temps de rédiger cette chronique, qui a été longue à faire en raison de ma formation professionnelle ainsi que de la préparation de notre déménagement. Merci à vous pour votre patience et votre compréhension

Vous pouvez retrouver et suivre tAngerinecAt sur le site officielFacebook, Instagram, Bandcamp et Youtube

 

 

 

 

 

 

 

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